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Christine Angot pour l’écriture; Catherine Corsini pour la réalisation et Virginie Efira pour le rôle principal sont les trois femmes de ce film exceptionnel d’émotion et de violence sentimentale. Las ! il ne passe plus guère en salle mais qui sait , peut-être un ciné-club pourra t’il le projeter ? Niels Schneider complète la distribution dans un rôle complexe : un personnage qu’on adore détester. Les très anciens cinéphiles savent peut-être qu’une histoire d’amour est née entre Ingrid Bergman et Gary Cooper au cours du tournage de “Pour qui sonne le Glas” Virginie et Niels semble t’il, ont suivi la même voie. En revoyant Virgine Efira dans “Un amour impossible ” et cette année au cinéma dans “L’Amour et les forêts” ou “Les enfants des autres”, on peut comparer la richesse de son jeu à celui de Romy Schneider, c’est une très grande actrice. La mise en scène est de celles qu’on ne voit pas : précise et discrète. Le film a été tourné en deux mois à Châteauroux en 2017 et a été programmé deux fois sur Arte.

Il est de ceux qui rentent en mémoire.

Top Hat par Sylvain

En 1927 la Warner sort Le chanteur de Jazz (The Jazz Singer).

Ce n’est pas stricto sensu le premier film utilisant un procédé de synchronisation entre le son et l’image (la Warner avait fait des essais en 1926 avec Don Juan et surtout le court métrage A Plantation Act) mais la publicité et le succès public du film feront du Chanteur de Jazz le premier film parlant de l’Histoire et de la génialissime réplique (déjà présente dans A Plantation Act) « Wait a minute, wait a minute, you ain’t heard nothin’ yet! » face caméra (et donc en s’adressant au spectateur) la toute première première réplique du cinéma.

Ceci est une révolution (comme aurait dit Steve Jobs) et pour Hollywood c’est une nouvelle opportunité. Celle de reproduire au cinéma les succès des grandes comédies musicales de Broadway.

C’est cependant la crise de 1929 qui va faire de la comédie musicale un genre majeur à Hollywood. Face à la désertion des salles, Hollywood bascule dans le pur « entertainment ». Il faut sortir les spectateurs de leurs soucis quotidiens. L’usine à rêves est née. Le premier âge d’or de la comédie musicale américaine est lancé. Il durera 10 ans.

Pour les studios débute une course pour dénicher les meilleures pépites. Et c’est la RKO, la plus petite des 5 Majors (Paramount, MGM, Fox, Warner, RKO), qui va tirer le gros lot.

En 1933 le studio va associer dans Carioca (Flying Down to Rio) un certain Frederick Austerlitz (dit Fred Astaire), total inconnu à Hollywood et sans aucun avenir (« Can’t sing. Can’t act. Balding. Can dance a little. » dit la légende – « Ne peut pas chanter. Ne peut pas jouer. Calvitie. Peut danser un peu ») et une jeune actrice qui commence tout juste à percer : Ginger Rogers. Cette association est un peu le fruit du hasard, Ginger Rogers remplaçant au pied levé (c’est le cas de le dire) l’actrice initialement prévue. Ce sont les seconds couteaux du film (4ème et 5ème au générique) mais on ne voit qu’eux à l’écran. Un couple mythique vient de naitre : Ginger et Fred. Ils vont devenir le mètre étalon de la comédie musicale des années 30 … voir même de toutes les comédies musicales.

Ils vont tourner 10 films ensemble (9 entre 1933 et 1939 avec la RKO et 1 en 1949 avec la MGM) parmi lesquels 7 d’entre eux (de 1934 à 1938) forment une sorte d’Himalaya de la comédie musicale. La quintessence du genre en quelque sorte.

J’aurais pu choisir Swing Time (Sur les ailes de la dance – Georges Stevens – 1936) qui d’un point de vue chorégraphie et prestation du couple est certainement le plus abouti. Mais voilà, Swing Time c’est le K2. Au-dessus il y a l’Everest : Top Hat (Le danseur du dessus – Mark Sandrich – 1935).

Alors c’est quoi Top Hat ?

D’abord Top Hat c’est avant tout un excellent vaudeville. C’est drôle, les dialogues fusent, les situations cocasses s’enchainent. Rien d’exceptionnel mais une vraie bonne comédie.

Top Hat c’est bien sûr le couple Ginger Rogers et Fred Astaire. Le premier adjectif qui vient à l’esprit en les regardant danser c’est « harmonie ». Ce ne sont pas deux danseurs, c’est un couple.

Ginger et Fred, c’est la grâce, la légèreté. Quelque chose en rapport avec l’Ether.

Et en même temps c’est une prestation physique hors norme qui passe complètement inaperçue et ça c’est assez génial. Une seule prise par numéro. Des plans longs, très peu de coupure. Ce sont les artistes qui créent le spectacle, pas le monteur (on ne peut pas en dire autant aujourd’hui).

Et puis Top Hat ce sont les chansons Irving Berlin composées pour le film, dont la célèbre « Cheek to cheek » (Heaven, I’m in heaven …)

Top Hat c’est également des décors en carton-pâte (les chambres d’hôtel, Venise …) complétement assumés qui donne cet aspect irréel au film, presque onirique. Totalement en cohérence avec l’histoire, les personnages, la musique, les numéros de danse …

Mais la réussite du film vient du fait qu’il s’agit d’un pur produit de studio. Du producteur (Pandro S. Berman) aux accessoiristes en passant bien sûr par le réalisateur et les acteurs, tous sont des employés de la RKO. Tous se connaissent et ont l’habitude de travailler ensemble. L’équipe est quasiment identique à « La joyeuse divorcée » (The gay divorcee – 1934). Le seul changement d’importance est l’arrivée d’Helen Broderick qui a l’air de s’amuser comme une petite folle. Il y a une alchimie et ça se voit.

Ce qui m’amène à mon point suivant : la place des seconds rôles. Elle est cruciale dans Top Hat. Ginger Rogers et Fred Astaire sont les têtes d’affiche mais ce sont les seconds rôles qui donnent sa consistance au film. Edward Everett Horton (le roi de la réaction à contre-temps), Eric Blore, Helen Broderick, Erik Rhodes, « seconds rôles professionnels », sont juste parfaits. Non seulement ils ont du temps de jeu, mais dans les scènes partagées avec les acteurs principaux ils peuvent passer au premier plan. Autrement dit il y a des scènes où c’est Fred Astaire qui donne la réplique à Edward Everett Horton et pas le contraire. Difficile d’imaginer ça aujourd’hui.

Et puis il y a LA scène. Cheek to Cheek et la robe de Ginger Rogers. Cinq minutes de pur bonheur. Je vous parlais d’Everest, là on touche le ciel.

Plutôt que de vous demander de me croire sur parole, je vous renvoie aux deux fantastiques hommages qui lui ont été rendus :

D’abord Woody Allen dans La Rose Pourpre du Caire. A la fin du film Mia Farrow s’installe au cinéma devant Top Hat au moment de Cheek to Cheek. Elle est dévastée. Et puis, au fur à mesure que la scène se déroule, son visage s’illumine. J’en ai encore des frissons.

Et puis Frank Darabont dans La ligne Verte. John Coffey, sorte de personnage un peu christique de bon gros géant un peu simplet, condamné à mort pour un meurtre qu’il n’a pas commis, découvre Top Hat quelques jours avant son exécution. Devant Cheek to Cheek il déclare les yeux émerveillés : « Why, they’s angels. Angels, just like up in heaven » («  Eh bien, ce sont des anges. Des anges, comme au paradis »).

Voilà. C’est exactement ça Top Hat. Un petit morceau de paradis sur grand écran.

« Heaven, I’m in heaven … »

Grand succès pour le film “Swing” mardi 28 mars, précédé d’un “concert quizz” de musiques de films et d’une mini master class et démonstration de Jazz manouche par Mathilde Febrer, Antoine Tatich et Eric Gombart. Sur la photo “Minor Swing” en final

Sortons Mariage Incognito de son incognito !

Les Pépites oubliées : Mariage incognito (Georges Stevens) par Sylvain

Il en va des films comme de la vie, c’est quand on s’y attend le moins qu’on passe les meilleurs moments.
Il y a comme ça des films tombés dans l’oubli qui, alors qu’on ne s’y attend pas, se révèle être de véritables pépites.

C’est le cas de Mariage Incognito.

Peter Morgan (James Stewart), jeune et talentueux professeur d’une petite université de province – université dont son père (Charles Coburn) est le très autoritaire doyen – est chargé de ramener son cousin Keith (James Ellison) en vadrouille à New-York. Il y rencontre Francey (Ginger Rogers) la chanteuse de cabaret dont son cousin est tombé amoureux.
Après une ellipse digne des meilleurs Lubitch, Peter et Francey se retrouve mari et femme et dans le train du retour avec le cousin comme chaperon.
Deux petites ombres au tableau : Peter n’a pas prévenu ses parents de son mariage … et il a omis de parler à Francey de sa fiancée Helen.
Evidement tout ce beau monde les attend à la gare…

Produit et réalisée en 1938 par George Stevens pour la RKO, Mariage incognito (Vivacious Lady) est une pure screwball comedy, genre hollywoodien (entre la comédie romantique et le burlesque) ayant eu son heure de gloire du milieu des années trente au début des années quarante.
Le terme screwball vient du baseball et indique une balle à la trajectoire imprévisible. On sait d’où la balle part, on sait où elle arrive mais on ne sait pas ce qui va se passer entre les deux. 
La screwball comedy c’est la même chose : la situation de départ est connue – deux personnes que tout sépare (et en premier lieu la classe sociale) sont attirés l’un par l’autre – la situation finale ne fait aucun doute – « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » – mais impossible de deviner le chemin plein d’embuches qui va mener de l’un à l’autre.
Et il faut dire que les scénaristes hollywoodiens s’en sont donné à cœur joie pour trouver des embuches. A titre d’exemple, des plus « classiques » au plus loufoques : un remariage imminent (Indiscrétions – The Philadelphia Story – George Cukor 1940), un métier un peu trop prenant (La dame du vendredi (titre français ridicule) – His Girl Friday – Howard Hawks 1940), un divorce pas si consommé que ça (Cette sacrée vérité – The Awful Truth – Leo McCarey 1937), un deuxième mari (Mon épouse favorite – My Favorite Wife – Garson Kanin 1940), un « mur de Jéricho » (New-York Miami – It Happened One Night – Frank Capra 1934), deux léopards (L’impossible Monsieur Bébé – Bringing Up Baby – Howard Hawks 1938) …

Dans Mariage Incognito rien que du classique, le scénario joue sur la différence de classe sociale, elle est chanteuse de cabaret à New-York, lui est professeur d’université d’une petite ville de province. Seule petite entorse aux bases d’une screwball – et c’est tout le ressort scénaristique du film – le mariage se situe au début du film (mais tout le monde n’est pas au courant).

L’intérêt de Mariage Incognito tient moins dans son scénario que dans le jeu proprement inspiré de ses acteurs. La complicité entre James Stewart (30 ans, jeune premier à l’époque) et Ginger Rogers (27 ans, star confirmée) est tout simplement époustouflante. La prestation des deux acteurs est hallucinante et ils payent littéralement de leur personne. Les seconds rôles sont au diapason. Que ce soit le cousin complice (James Ellison – extraordinaire dans ce film), le père écrasant d’autorité (Charles Coburn (Les hommes préfèrent les blondes, Monkey Business), la mère souffreteuse (Beulah Bondi), la fiancée revêche ou le collègue dragueur lourdingue, tous apportent leur pierre à l’édifice. C’est drôle, c’est enlevé, les dialogues fusent, les situations loufoques s’enchainent et les scènes d’anthologie se multiplient. Mes trois préférées :
– Le moment de vérité entre la mère de Peter et Francey (et la leçon de dance qui s’en suit).
– L’explication entre Francey et Helen (encore une magnifique ellipse)
– L’auto-sabotage de Peter qui décide de fabriquer son propre alcool (James Stewart à mourir de rire. On retrouvera un peu de cette scène dans Indiscrétions)

Seul petit bémol, la toute fin est un peu faible par rapport au reste du film.

Grand fan des screwball comedies, Mariage Incognito est de loin ma préférée.
C’est une pépite aujourd’hui complètement oubliée.

Voici trois mauvaises raisons pour ne pas voir ce film ;

Georges Steven est un réalisateur connu pour ses films exigeants, très sérieux (pour ne pas dire un peu chiant). Une place au soleil – A place in the Sun (1951), L’Homme des vallées perdues – Shane (1953), Géant – Giant (1956), Le Journal d’Anne Frank – The Diary of Anne Frank (1959). Aucune comédie là-dedans.

Ginger Rogers est une danseuse plus qu’une actrice, la moitié du couple Ginger & Fred. Ginger, c’est la beauté, la grâce, quelque chose de glamour, de sérieux.

James Stewart c’est des grands rôles dans quelques bons westerns et un ou deux Hitchcock. L’image d’un homme mûr. Celui sur qui on peut compter en cas de pépin mais qui n’est pas là pour rigoler. L’image de l’Amérique.  Bref « a serious guy ».

Et rien de tout ça ne colle avec l’extravagance des screwball comedies et ses Cukor, Hawks, Capra, Lubitsch, Cary Grant, Katharine Hepburn, Irene Dune …   

Et pourtant :

George Stevens c’est l’école Hal Roach (Laurel & Hardy, Harold Lloyd …), c’est aussi des comédies musicales (dont l’excellent Ginger & Fred : Sur les ailes de la danse (Swing Time) – 1936) et des bonnes comédies (La Femme de l’année (Woman of the Year) – 1942, premier film du couple Katharine Hepburn / Spencer Tracy, Plus on est de fous (The More the Merrier) – 1943).

Ginger Rogers, merveilleuse comédienne (Oscar de la meilleure actrice en 1940 pour son rôle dramatique dans Kity Foyle) c’est également un véritable talent comique, probablement le meilleur de sa génération (Uniformes et jupons courts (The Major and the Minor) – Billy Wilder – 1942, encore un chef d’œuvre oublié, Chérie, je me sens rajeunir (Monkey Business) – Howard Hawks – 1952).

James Stewart c’est plus de 50 ans de carrière et l’un des plus grands acteurs Américain de l’histoire. Il aura tourné avec les plus grands réalisateurs (Capra, Lubitsch, Cukor, Wellman, Hathaway, Vidor, Hitchcock, Mann, DeMille, Wilder, Preminger, Ford, Aldrich) avec dans sa filmographie d’avant-guerre, des très grandes comédies (Vous ne l’emporterez pas avec vous (You Can’t Take It with You) – Frank Capra – 1938, Rendez-vous (The Shop Around the Corner) – Ernst Lubitsch – 1940, Indiscrétions (The Philadelphia Story) – George Cukor – 1940.)

Trois très bonnes raisons pour voir (ou revoir pour ceux qui ont déjà eu cette chance) l’excellent Mariage Incognito.

Trois très bonnes raisons pour sortir Mariage Incognito de son incognito.

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FRANÇOIS DE ROUBAIX, COMPOSITEUR ET AVENTURIER

Stéphane Lerouge – 19 avril 2023

Pendant dix ans, de 1965 à 1975, François de Roubaix a été l’un des plus fascinants compositeurs du cinéma populaire français. Chez lui, il n’y avait pas de frontière entre la vie et la création. Son existence pivotait autour de trois éléments-clés (la musique, la mer, les copains), que l’on retrouve dans les films de ses metteurs en scène fétiches, Robert Enrico et José Giovanni, nourris d’amitié et de grand large. Cette vertigineuse imbrication entre la réalité et le cinéma donne une dimension unique, presque mythique, à la fulgurante trajectoire de François de Roubaix, compositeur-aventurier épris d’océan et de fraternité.

François de Roubaix, compositeur et aventurier

Fils du producteur de films institutionnels Paul de Roubaix, François se prend très jeune d’une double passion pour le cinéma et la musique, qu’il apprend et pratique de manière autodidacte. Cette formation donne à son écriture une formidable impulsion de liberté. Liberté dans la façon de jongler avec l’harmonie et la tonalité, liberté d’instrumentation, liberté dans la confection même de ses partitions… En 1959, son père lui fait mettre en musique L’Or de la Durance, court métrage d’un jeune cinéaste prometteur, Robert Enrico. Six ans plus tard, Enrico offre à François son baptême du long métrage, Les Grandes Gueules, adapté d’un roman de José Giovanni. Enrico, Giovanni : deux hommes déterminants dans le parcours du compositeur. Dès Les Grandes Gueules, la camaraderie virile, l’âpreté des sentiments, l’exotisme du cadre posent les premiers jalons d’une atmosphère musclée qui imprègnera les futurs films d’Enrico, puis ceux de José Giovanni. D’emblée, la musique de François de Roubaix est indissociable de cet univers. Pendant dix ans, il va décaper le son du polar français, aussi bien pour ses deux mentors (Les AventuriersDernier domicile connuLa Scoumoune) que pour des cinéastes comme Yves Boisset, Jean Herman, le vétéran Julien Duvivier ou encore Jean-Pierre Melville (Le Samouraï, sans doute le meilleur film du compositeur).

PIONNIER DU HOME-STUDIO

Artisan, expérimentateur et bricoleur de génie, De Roubaix aménage très tôt un studio domestique (on ne dit pas encore « home studio ») dans son appartement haussmannien de la rue de Courcelles, avec un magnétophone huit pistes, un orgue et deux synthétiseurs. Pour lui, l’électronique ouvre les portes d’un monde sonore inédit. Jamais il ne l’emploiera en ersatz d’instruments acoustiques. Au contraire, il ne cesse de forger un langage propre à ce nouvel outil, il s’enflamme pour l’association instruments acoustiques / électroniques et les combinaisons infinies qui en découlent. Comme un peintre qui joue avec ses couleurs, François s’amuse à marier le synthétiseur avec la guimbarde, l’ocarina péruvien ou le balafon. « En fait, insiste-t-il, c’est le mélange des deux genres, musique traditionnelle et musique électronique, qui correspond à ce que je veux faire. J’essaye de créer une sorte de pont entre le folklore et la recherche. » Grâce à son magnétophone multipistes et à son extraordinaire polyvalence instrumentale, François peut concevoir et interpréter directement ses propres compositions à domicile, en s’enregistrant lui-même sur chaque piste avec un instrument différent. Poussant jusqu’à l’extrême la technique de re-recording, il devient l’auteur absolu de ses partitions, avec une maîtrise de toutes les étapes du processus de création : composition, orchestration, exécution, enregistrement, mixage… Conçue dans ces conditions uniques, La Scoumoune est l’œuvre-matrice des années home studio, son jalon initial et blason. Et puis, il y a autre chose : à travers le synthétiseur, François parvient à prolonger son obsession-fascination pour la mer, à communiquer ce qu’il ressent lorsqu’il est en contact avec elle. Il met au point des sonorités aquatiques très personnelles qui deviennent l’une des constantes de sa dernière période, la fameuse parenthèse 1972-75. Comme si l’océan était un univers parallèle, un monde à côté du monde, dont la voix intérieure serait électronique. La démarche est simple et sans ambiguïté : De Roubaix a trouvé dans le synthé l’outil idéal pour exprimer le mystère, l’envoûtement et la poésie des espaces sous-marins.

JEUNESSE ÉTERNELLE

À la charnière des années 1960-1970, François de Roubaix incarne le jeune compositeur par excellence. Certaines bandes originales obtiennent des succès discographiques objectifs et déclenchent de nouvelles collaborations, notamment sur des comédies corrosives du tumultueux Jean-Pierre Mocky (La Grande Lessive (!)L’Étalon) ou encore L’Homme orchestre, comédie musicale psychédélique où De Roubaix fait chanter en duo De Funès père et fils. Il traverse le miroir en passant à la mise en scène avec deux courts métrages, Le Gobbo et l’expérimental Comment ça va, j’m’en fous, récit inversé d’un coup de foudre. Le temps va lui manquer pour aller plus loin : il ne remontera jamais d’une plongée sous-marine, en novembre 1975, aux Canaries. Pascal Jardin écrira : « La mer et ses mystères ont eu raison de François. » En avril 1976, le premier César de la musique de film lui est décerné à titre posthume pour l’iconique partition du Vieux Fusil, avec son dialogue entre deux pianos, l’un symbolisant Philippe Noiret, l’autre Romy Schneider. Le premier est enregistré à vitesse normale, le second, au timbre plus grêle, à demi-vitesse. Quarante-huit ans plus tard, De Roubaix serait fier de voir son œuvre brandie en étendard par les artistes du nouveau monde, à grand renfort de reprises, samples et remixes. Cette rétrospective à la Cinémathèque française sera une façon unique d’explorer les versants secrets d’un pionnier de grâce et d’instinct : certes, François de Roubaix a écrit de la musique, mais c’est d’abord la musique qui l’a écrit. « L’arrêt de la vie à trente-six ans l’a figé dans l’image de la jeunesse, analysait le cinéaste Serge Korber. On ne le verra jamais en compositeur à cheveux blancs, dépassé par la technique et les nouvelles générations. De Roubaix, c’est comme Rimbaud ou James Dean : le passage d’un ange. »

Stéphane Lerouge

Remerciements à Patricia de Roubaix et Benjamin de Roubaix


Concepteur de la collection discographique Écoutez le cinéma ! chez Universal Music France, Stéphane Lerouge a élaboré une quinzaine d’albums autour de François de Roubaix, dont le coffret de cinq vinyles François de Roubaix – Compositeur-aventurier (Panthéon-Decca Records), publié fin 2021.

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